(Suite et fin) - Mon mari, mon amour, mon drame : L'insoutenable confession d'une femme battue

L'amour est cette force incontrôlable qui nous pousse à défier le bon sens, nous guide vers les sentiers inexplorés du coeur et nous abandonne souvent quand notre raison remonte à la surface et reprend le dessus sur nos sentiments. On n'aime pas parce que... On aime tout court. Dès lors qu'on cherche une explication aux sentiments que l'on éprouve pour quelqu'un, l'amour commence à fondre comme beurre au soleil. Et il aura totalement disparu, au moment où l'on trouvera la raison pour laquelle on aime telle personne ou telle chose.

Je n'ai jamais su pourquoi j'aimais Doudou. Mais quand les problèmes ont commencé à surgir dans notre relation, j'ai entamé une réminiscence pour trouver pourquoi je m'étais tant attachée à cet homme. Je voyais défilé devant moi le film de ma jeunesse dorée après avoir été élue plus belle fille de la sous-région et propulsée au-devant de la scène médiatique. Je revoyais mon visage très éblouissant sur les panneaux publicitaires de la capitale et mon sourire radieux sur les spots publicitaires à la télé. Je me remémorais surtout le ballet incessant d'autorités et de fortes personnalités du pays dans notre salon, les appels téléphoniques de stars, la montagne de cadeaux de mes prétendants d'alors... Mais j'ai cherché, en vain, l'élément discriminant qui distinguerait essentiellement mon Doudou de ce qui n'était pas lui.

J'avais mis mes parents devant le fait accompli pour les forcer à me donner Doudou en mariage. J'étais enceinte de lui, deux mois après l'humiliation subie par ses parents chez moi. Une manière pour moi de recoller les morceaux du coeur brisé de mon amour. La plus belle femme de la sous-région ne pouvait donner que ce qu'elle avait. Et j'ai offert à l'homme que j'aimais ce que j'avais de plus précieux : ma virginité. Pour ceux qui connaissent bien la culture Haal Pulaar, c'est comme un crime de lèse-majesté. Mes parents étaient dégoûtes. Mon visage, autrefois mirage miroitant de leur beauté, les répugnait à présent. Ils étaient si précipités de se débarrasser de ma silhouette d'impure que le quarantième jour qui a suivi mon accouchement, je fus donné en mariage à Doudou sans tambour ni trompette. Dans nos sociétés africaines, il est difficile pour un enfant banni par ses parents de se couler des jours heureux sur cette terre, le reste de sa vie.

Malédiction ou simple destin ? Après trois années de mariage, un événement précurseur est venu acter notre descente aux enfers. Doudou a dû payer de son poste un accident meurtrier survenu à l'usine. Affligé par la mort de ses éléments dont, Amadou, son meilleur ami, mon mari a été licencié pour faute professionnelle grave. Il n'a jamais pu surmonter cette épreuve. Il a pleuré toutes les larmes de son corps, couché dans mes bras comme notre enfant de trois ans. Il s'est brutalement réveillé plusieurs fois au milieu de la nuit en criant le nom de son ami disparu dans la tragédie. Il a cessé de s'alimenter normalement. Il a tout simplement perdu l'appétit de vivre. Il cherchait un refuge et je n'avais pas la carapace assez dure pour protéger sa foi de la déviance. Il a alors opté pour l'évasion par voie alcoolique. Il sortait le soir, traînait dans les bars du coin et buvait à volonté pour noyer son chagrin. Et quand il rentrait tard dans la nuit, il m'accusait d'être l'oiseau de mauvais augure qui a fait basculer sa vie dans le malheur. Et quand je tentais de le calmer pour ne pas qu'il réveille notre petit garçon ou le voisinage, il me repoussait très violemment, puis se jetait sur moi comme un tigre blessé pour me rouer de coups. J'évitais de crier pour ne pas alerter les voisins. Je souffrais, mais je pleurais en silence... Il en été ainsi chaque soir et chaque nuit pendant trois bonnes années où nous avons dû changer de quartier plus d'une dizaine de fois faute de pouvoir payer le loyer.

Je pensais souvent à l'avenir de mon enfant. Comment allait-il grandir dans ces abominables conditions ? Quelle serait son attitude dans la société, après avoir vécu les crises et délires d'alcooliques de son père ? Mais je ne pouvais pas quitter Doudou. C'est le seul homme que j'ai vraiment connu dans ma vie. Et cela me faisait du bien d'espérer qu'il puisse se ressaisir un jour pour affronter la vie.
Cependant, la violence de Doudou devenait de plus en plus accrue. J'ai eu tour à tour les deux bras cassés, des lésions au crâne et des bleus sur tout le long du corps. Mais jamais je n'ai pipé mot aux différents médecins et infirmiers qui me consultaient sur les raisons de mes blessures. J'étais toujours une star dans la mémoire collective et le moindre bruit sur ma situation conjugale pourrait ameuter la presse people. Je gérais méticuleusement les dérives de Doudou et l'étanchéité de notre vie de couple. Nos multiples déplacements nous ont menés dans la banlieue où nous étions moins exposés aux feux des médias. Nos nouveaux voisins ne pouvaient pas imaginer qui j'étais il y a six ans. Tant les épreuves que je traversais avec mon mari, m'avaient complètement défigurées...

Doudou continuait à boire et n'arrêter pas de déverser sa rage et sa haine de la vie sur moi. Seulement sa violence avait franchi un cap. Quand notre fils tentait de s'interposer, sa rage décuplait du coup et il se mettait aussi à le frapper si violemment que le petit suffoquait. Cette fois-ci, les voisins n'étaient pas insensibles à ce qui se passait dans la pièce. Le couple qui vivait à côté de notre chambre a forcé la porte pendant une nuit où le pire est finalement arrivé. Je ne sais pas à quel moment notre fils s'est procuré un couteau pour le dissimuler dans sa couverture. Et pendant que son père me battait, il s'est précipité pour lui donner plusieurs coups de cette lame dans le ventre. Le sang a giclé de partout et j'ai pas tout de suite réalisé ce qui se passait réellement. J'ai cru un instant que Doudou avait poignardé le petit et je me suis mise à crier de toutes mes forces pour alerter le voisinage. Et une trentaine de secondes après s'être débattu, Doudou s'affala sur le perron ensanglanté de la chambre. Pendant ce temps, notre fils se tenait debout et immobile avec le couteau dans sa main droite qui tremblait.

Quand les voisins se sont mis à forcer la porte, j'ai récupéré la lame des mains couvertes de sang de mon fils pour endosser les faits. Ils ont aussi pris mon mari pour le transporter dans un district sanitaire qui n'était pas loin du quartier. Les sapeurs-pompiers ont été alertés, la police aussi. Et avant que Doudou ne soit évacué aux urgences de l'hôpital principal, il succomba à ses blessures...

Mon voisin me conseilla de raconter la stricte vérité à la police. Il me dit que lui et tous les habitants du quartier allaient raconter ce qui se passait dans notre chambre chaque nuit, depuis que j'avais emménagé dans ce quartier. Il y avait mort d'homme et il fallait à la police un coupable. Je fus donc arrêtée. Mais quand j'ai raconté aux enquêteurs la scène, ils se sont appuyés sur le témoignage des voisins pour conclure à une légitime défense...


Je suis retournée chez mes parents avec mon enfant, qui était toujours traumatisé par les événements. J'aurais mille fois préféré la violence de Doudou au regard méprisant de mon père. Mais à présent, je n'avais plus le choix, mon enfant avait besoin d'un environnement stable et calme pour oublier ce qu'il a vécu et grandir comme ses camarades. Ma mère se chargea de panser les blessures de nos deux âmes, qui certainement vont laisser des cicatrices papables à vie...

Par Autrui