Confession intime - Salimata ma griotte, ou l'éprouvante histoire du sang impur qui a détruit ma vie

Je suis né dans une famille de forgerons. Mon grand-père battait et modelait le fer à sa guise. Après sa mort, c'est mon père, son aîné, qui a pris les rênes de sa petite fabrique de bijoux. Etudier n'a jamais été dans leur plan. N'eut-été ma mère, qui a su convaincre mon père de m'inscrire à l'école française, aujourd'hui, je serais dompteur de métal. Un métier noble qui gagnerait beaucoup à intégrer les Nouvelles technologies dans sa marche vers l'avenir. Beaucoup de gens qui le pratiquent au Sénégal n'ont pas eu la chance de faire des études. Ils ont laissé la société et ses préjugés caducs les cantonner dans un classe d'individus qui ne sont bons qu'à manier le fer pendant qu'il est chaud...Mais bref, même si mes racines sont la principale source du problème que je vais partager avec vous, je ne suis pas venu sur le Blog d'Autrui pour porter des jugements sur qui que ce soit.

J'ai mal. J'ai très mal. Et mon mal empire de jour en jour. Ma volonté de mettre un terme à ma situation s'effrite de jour en jour. Tant j'ai laissé de forces dans cette bataille. Au début, j'ai tenté le coup de force, mais ça n'a pas marché. J'ai ensuite tenté la négociation, le compromis, le dialogue... Mais là aussi, personne n'entendait mon discours. Dos au mur, j'ai fauté, péché et joué au jusqu'au boutiste. En vain. Le fond du problème était autant indicible que la raison humaine est inapte à saisir une surréalité.
J'ai flashé sur Salimata en troisième année de Gestion à l'Université. Elle était belle, intelligente, raffinée et issue d'une très riche famille de commerçants. Elle m'invitait de temps en temps à déjeuner ou à dîner chez elle. Le courant passait très bien entre ses parents et moi. Après le Master 1, son père m'a même aidé à obtenir une bourse pour aller faire un Master en Commerce international à Paris. Pendant ce temps, Salimata a été recrutée dans la fonction publique. j'avais pour projet de me marier avec elle dès mon retour au Sénégal et ses parents le savaient bien.

Après avoir obtenu mon Master 2, le père de ma petite amie, qui a beaucoup de relations dans le milieu des affaires et des grandes entreprises, m'a permis d'obtenir un poste de Directeur commercial dans une grande boîte de la capitale. Tout se passait bien dans le meilleur des mondes entre ma bien-aimée et moi. Jusqu'au jour où je l'ai emmenée chez mes parents pour la présenter. Je leur avais dit tout ce que les parents de Salimata avaient fait pour moi et combien je l'aimais. Mais je ne savais pas que l'union de nos deux noms de famille étaient prohibée par une tradition dont je ne maîtrise pas les soubassements.
Le visage de ma mère s'est aussitôt renfermé sur le sourire mécanique qui l'animait à l'entrée de Salimata dans la demeure familiale des Thiam, quand elle a donné le nom de sa famille (Niang). Je ne comprenais pas encore grand-chose au changement brusque d'attitude opéré par ma mère. J'ai alors introduit ma petite amie dans le salon, en attendant le retour de mon père de la mosquée. Mais ce dernier n'est jamais entré dans ce salon pour serrer la main à mon invitée. Il a été intercepté dans la cour de la maison par ma maman, qui lui avait mis au courant de l'énorme sacrilège que préparait son fils aîné. A savoir, entaché le sang des Thiam en épousant une griotte de la lignée des Niang.

Pour éviter que ma copine se sente humilier, je lui ai raconté que mes parents étaient appelés d'urgence au village avoisinant où un parent était gravement tombé malade. Ce jour-là, Salimata est retournée à Dakar sans revoir ma mère ni voir mon père. Elle a laissé à ma petite soeur les nombreux cadeaux qu'elle avait mis dans le coffre de sa voiture et qui étaient destinés à mes parents.
Je savais que ce qui se tramait ne sentait rien de bon. Mais je ne pouvais pas imaginer que c'était aussi grave. Aussitôt après le départ de Salimata, mon père est apparu en compagnie de ma mère, et a convoqué une assemblée familiale d'urgence. En quelques minutes, mes oncles et tantes du village, mes cousins et cousines, étaient tous présents à la maison. Mon père prit la parole et dit ceci :
- J'ai convoqué cette assemblée en urgence pour conjurer le mauvais sort qui guette la famille. Et imaginez bien que c'est par mon propre aîné que le sort veut passer pour entacher le sang des nôtres. Mon fils m'a dit il y quelques jours son intention de prendre pour épouse une fille qu'il a connue à l'université. C'est une personne issue d'une bonne famille dakaroise. Ses parents des gens bien. Mais je ne savais pas qu'ils étaient des griots. Et vous savez tous que l'union entre forgeron et griot est prohibée. Je jure ici devant vous tous et devant mon fils aîné, que tant qu'il me restera un souffle de vie, cette union n'aura pas lieu...

Après le speech de mon père, tous les regards étaient tournés vers moi. Et c'était la cohue verbale autour de moi. J'étais tout en sueur. Je tremblais et mes nerfs étaient sur le point de lâcher. Je me suis levé tout d'un coup, comme si une force extérieure me poussait à réagir et j'ai crié très fort :
- Ecoutez moi, s'il vous plaît !
Un silence de cathédrale régnait à nouveau dans l'assemblée. Je savais que je n'avais pas voix au chapitre devant mes parents et proche-parents présents. Mais je devais absolument dire ce que j'avais dans le coeur.
- Je m'excuse tout d'abord de prendre la parole alors que mes parents ici présents ne me l'ont pas donnée. Mais il faut que vous écoutiez ce que j'ai à dire avant de faire quoi que ce soit. J'aime cette fille. Elle est musulmane et pratiquante. Elle est bien éduquée par des parents pieux, généreux et intègres. Mon père a même dit dans son discours que c'est des gens bien. Alors je ne comprends pas comment le sang de gens bien peut entacher celui d'une autre famille comme la nôtre. J'aime Salimata et je suis incapable d'en aimer une autre. C'est avec elle que je veux passer le reste de mes jours. Alors je vous en prie, ne m'obligez pas renier votre parole pour la première fois...
Mon père me coupa la parole :
- Non mais comment oses-tu prendre la parole au milieu de tous tes parents pour de surcroît leur faire la leçon. Tu me fais honte devant tout le monde. Demande vite pardon avant que je ne m'énerve. Et gare à...
Il n'a pas pu finir sa phrase. Sa colère l'emportait sur tous ses sens.
- Père, je ne demanderai pas pardon pour avoir dit la vérité. Il faut savoir vous situer. Soit vous êtes musulmans et vous observez scrupuleusement la loi islamique qui stipule de donner en mariage un homme et une femme s'ils remplissent les conditions indiquées. Soit vous nous sortez un autre livre qui dicte les lois que vous voulez nous imposer, nous autres jeunes. Je vais retourner à Dakar et dès demain, je vais moi-même aller demander la main de Salimata à ses parents...

A suivre...

Par Autrui

(Crédit photo : Geo.fr)