(Suite et fin) Confession intime - Salimata ma griotte, ou l'éprouvante histoire du sang impur qui a détruit ma vie


Le plus dur n'est pas d'échouer au terme d'une mission, d'un match, d'un combat. Le plus dur n'est pas perdre. Parce que, tout compte fait, on ne peut pas tut vouloir et tout avoir dans ce bas monde. Mais pour moi, le plus dur, c'est se voir refuser quelque chose qui fait partie de nous, qui ne peut pas manquer dans notre vie, alors qu'au départ on croyait cette chose déjà acquise.
Je suis pris entre deux mondes que le progrès oppose. L'un est ancré en moi, c'est même le sang qui coule dans mes veines. L'autre m'a façonné de sorte à ne rien intégrer dans ma façon de faire qui ne soit en parfaite conformité avec ma manière de penser.

Je ne savais pas la grandeur du défi que j'avais lancé à mes parents devant cette assemblée. Mon coeur et ma passion pour Salimata étaient mes seuls guides quand j'ai pris le chemin de la capitale ce dimanche-là. Ma décision était prise et ce n'était pas ces histoires de castes avancées par mon père qui allaient m'empêcher de dire mon souhait aux parents de ma bien-aimée. Le lundi, avant midi, j'avais vidé tous les dossiers qui étaient sur mon bureau et demandé au Secrétaire d'annuler mes deux rendez-vous de l'après-midi. Les parents de Salimata m'attendaient pour le déjeuner. J'étais très angoissé à l'idée que ma requête puisse être rejetée. Et si Monsieur et madame Niang pensaient de la même manière que mes parents à moi ? Mais j'étais tout de suite rassuré par le fait qu'ils connaissaient depuis longtemps mes origines de forgeron et cela ne les a pas empêché de laisser leur fille sortir avec moi.
Le déjeuner était servi sans Salimata qui n'avait pas pu se libérer de son travail. Monsieur Niang m'a questionné sur notre voyage au village durant le week-end. Autour du repas, j'ai pas voulu donner les détails de la rencontre de sa fille avec mes parents. J'ai alors intelligemment contourné le sujet pour parler affaires. Et le père de Salimata adore parler affaires.
C'est après le déjeuner que je me suis lancé...
- Papa, maman, je pense qu'il est venu le moment parler sérieusement de l'avenir de la relation que j'entretiens avec Salimata...
Le chef de famille me coupa la parole :
- Mon fils, donne-moi une minute
Il pria les domestiques et autres cousins de Salimata présents dans le salon de vider les lieux...
- Bon, tu peux continuer mon garçon.
Et je repris mon souffle avec plus d'assurance :
- Comme je disais tout à l'heure, l'avenir de ma relation avec Salimata m'importe beaucoup. Si je suis venu aujourd'hui, c'est exclusivement pour vous demander sa main.
Monsieur Niang de réagir pendant que mon coeur battait à un rythme à s'essouffler :
- Humm ! Mon fils, c'est vraiment un réel honneur de savoir que tu veux officialiser ta relation avec ma fille chérie. Comme tu le sais, je suis assez riche pour n'avoir pas besoin de te demander quoi que ce soit. Envoie-moi juste tes parents et je te jure que le mariage pourrait même être scellé le jour où ils viendront discuter ici avec nous...
Tout le problème était là. Comment allais-je convaincre mes parents de venir demander la main de Salimata après la scène que je leur avais faite au village. J'ai alors décidé de jouer franc jeu avec le père de ma copine.
- C'est là le problème mon père
- Le problème ? Quel problème ?
- Je ne vous ai pas tout dit à propos de notre voyage au village avec Salimata le week-end. Mes parents n'apprécie que je veuille épouser une griotte. Mon père n'acceptera jamais de venir ici pour vous demander la main de votre fille. C'est problème de caste.
- Alors là, je ne comprends pas trop. Bon moi personnellement je ne crois pas à ces histoires. Mon épouse est issue d'une famille Sérère au sang dit-on pur. Heureusement que son père qui était l'imam du village ne croyait pas à ces trucs de castes. Mais bref, moi je croyais que la caste des forgerons était inférieure à celle des griots, ou bien c'est le contraire ?
Il jeta un regard interrogateur sur sa femme qui fit mine de ne pas en savoir davantage que lui. Puis il continua :
- Dans ce cas précis, ça risque d'être très compliqué. Il faudra peut-être voir dans ta famille un de tes oncles qui n'est pas en phase avec ton père sur cette question.
- Crois-moi mon père, je n'en trouverai pas.
- Eh bien, je suis désolé de te le dire comme ça. Mais je ne peux pas donner ma fille en mariage dans ces conditions. C'est une innocente. Elle ne connaît rien de ces problèmes. Et je la jetterais dans un monde hostile sans aucune défense. Je ne peux pas faire ça. Désolé

Je suis reparti chez moi les idées très confuses. Je réfléchissais à une tactique qui ferait fléchir mes parents. Mais je savais que rien ne ferait bouger mes parents de leurs principes. le combat était perdu d'avance. Mais j'étais l'aîné de la famille et je n'avais pas le droit de bouder de la sorte. Je suis retourné le week-end suivant chez mes parents pour présenter mes excuses. Mon père me promit son pardon si seulement j'entreprenais de prendre pour épouse la fille d'un de mes oncles. Pour ne pas réveiller les tensions, je lui ai promis de bien réfléchir à sa proposition. Mais encore une fois de plus, j'avais le coeur très meurtri. Comment des personnes qui nous ont éduqué, inculqué des valeurs morales telles que la vertu, l'estime et l'acceptation de l'autre, pouvaient en retour penser de la sorte ? Comment peut-on baser l'avenir sentimental d'une personne uniquement sur la pureté ou non du sang de son compagnon ?

Je ne suis plus retourné au village pendant plusieurs mois. Je ne pouvais plus composer avec mes parents. A chaque fin du mois, je leur envoyais tout l'argent nécessaire pour les dépenses familiales. Mais je trouvais toujours une excuse pour ne pas venir au village. Un matin, mon père m'a appelé pour m'annoncer que mon mariage avec la fille de mon oncle dont il me parlait a été scellé et qu'il me fallait venir au village pour consommer mon mariage. Je lui ai dit sur le coup, sans réfléchir, qu'il n'avait qu'à consommer ce mariage qu'il avait scellé sans mon consentement. Une phrase qui fait beaucoup de mal à mon père. Je pense que c'est depuis ce jour qu'il a définitivement rompu le lien affectif qui le liait à moi, son fils aîné.

Mon père a ensuite tout fait pour entrer en contact avec le père de Salimata. Il a pris rendez-vous avec lui à Dakar, à mon insu, pour détruire la relation que j'avais avec cette famille. Je ne sais jusqu'à présent pas ce qu'il a raconté au père de ma copine. Mais j'ai été subitement interdit de mettre les pieds dans cette maison. c'est par la suite que Salimata m'a raconté que nos deux parents s'étaient rencontrés en ville. On continuait néanmoins de se voir ma petite amie et moi. Elle passait à mon appartement et dès fois elle prétextait un séminaire hors de la capitale pour venir passer quelques jours chez moi. C'est ainsi qu'elle est tombée enceinte une première fois. Son père, excédé par la situation, proféra des menaces à mon encontre. Il promit de détruire ma carrière si je ne laissais pas sa fille. Après la naissance de mon fils, le père de Salimata fit tout son possible pour l'éloigner de moi. Mais rien. Sa fille m'aimait à la folie et moi de même. On a continué à nous voir jusqu'à ce qu'elle tombe enceinte à nouveau. Et c'est là qu Monsieur Niang à mis ses menaces à exécutions. J'ai été viré du jour au lendemain de la boîte où je travaillais, pour faute grave. Quand ils ont fouillé dans mes dossiers, ils ont comploté avec ma Secrétaire pour m'avoir. Et plus grave encore, aucune autre boîte n'a voulu me prendre. Je me suis retrouvé sans boulot ni sou dans environnement très hostile.
Mon père ne voulait plus entendre parler de moi. Les parents de Salimata avaient fini de me dépouiller. Il ne me restait plus que ma copine qui était enceinte. Et je ne pouvais plus la voir. Elle a été envoyée par ses parents aux Etats-Unis où elle devait accoucher. J'étais perdu. Incapable de payer mon loyer et de me nourrir même, j'ai décidé de retourné dans mon village natal.
J'ai trouvé mon père qui agonisait sur son lit. Terrassé par une hypertension artérielle, il était incapable de bouger du lit. Je me suis approché de lui. J'ai pris sa main et j'ai senti combien la vie quittait petit à petit son corps. Il a néanmoins rassemblé ses dernières forces pour me raconter pourquoi je ne pouvais pas être heureux avec Salimata :

- Mon fils, un père souhaite plus que quiconque le bonheur de son fils. Si ton bonheur était avec cette fille, crois-moi, je serais le premier sacrifier ma vie pour que tu sois avec elle...
Il s'essoufflait phrase après phrase. Mais il tenait à ce que j'entende ce qu'il avait à dire avant de s'en aller.
- C'est Dieu qui t'emmène ici aujourd'hui et il ne peut en être autrement. Puisque je sens que ma dernière heure sur cette terre est proche.
- Père, tu dois te reposer, tu es très fatigué. Il te manquement simplement des forces, mais tu va récupérer.
Il me coupa :
- Ecoute bien l'histoire que je vais te raconter mon fils. car c'est une histoire réelle qui s'est déroulée dans la demeure d'un grand guide religieux de ce pays. L'un des plus grands même. Ce guide avait des disciples chez lui à qui il apprenait le Saint Coran et la Tradition du Prophète Mohamed (PSL). L'un d'entre ses disciples est venu lui voir en privé un jour pour lui demander la main de sa fille. C'était juste après un prêche dans lequel le guide religieux répétait que devant Dieu, tous les hommes sont pareils et qu'il n'y avait pas de castes ou de tribus supérieures à d'autres devant le Seigneur des mondes... Quand le disciple, qui appartenait à une caste supposée inférieure à celui du marabout, a fait sa requête, ce dernier lui a demandé de revenir le voir à l'heure du dîner, pour qu'il lui donne sa réponse. Alors comme convenu, le disciple se présenta le soir à l'heure du repas chez son guide religieux. Celui-ci demanda à ce qu'on serve au disciple un plat à part. C'était du couscous avec un magouillât au milieu du bol. A chaque fois que le disciple voulais plonger sa main dans le bol pour manger, son bon sens ne le permettait pas de le faire. Il se mettait même à vomir. Ce soir-là, il n' pas pu dîner. Après que le reste de la famille a mangé un autre plat,, le marabout appela le disciple et lui demanda : "mon enfant, as-tu bien mangé ?" ; "Non, mon maître", lui répondit le disciple ; " Et pourquoi t'as pas mangé. Le plat n'était pas bon ?" ; "Ce n'est pas ça maître. C'est que mes sens ont rejeté le contenu du plat, je pense". Le guide se tut un instant et lui dit : "Tu sais bien que le magouillât est un animal comestible en Islam ?" ; "Oui", lui répondit le disciple. "Alors pourquoi t'as pas voulu le manger ?" ; "Comme je vous ai dit maître, mes sens le rejette à chaque fois que je veux le prendre"; "Eh bien, il en est de même avec ma fille. La religion n'interdit pas votre union. Mais comme tes sens sont incapables d'intégrer le magouillât, son sang est incapable de fusionner avec le tien". Et le disciple est reparti.
Mon fils, il y a des choses que la raison ne réussira jamais à expliquer dans cette vie. On y croit ou on y croit pas. C'est tout.

Mon père est mort quelques heures après m'avoir raconté cette histoire...

Par Autrui

(Crédit photo : geo.fr)