Confession intime : Moi Première Dame, épouse du Diable...


Beaucoup m'envient, d'aucuns diront que je suis bénie des dieux, d'autres m'adulent, tandis que le rêve de millions de femmes est de devenir ce que je suis. Si seulement vous saviez combien je me plains le matin quand je suis en face du miroir. Mon boulot consiste à sourire aux gens, à agiter le bras vers la foule et à duper l'opinion avec une bonne humeur façonnée par des communicants surdoués. C'est moi la Première Dame, la mère du peuple, celle avec qui le père de la nation partage tout. J'ai pas le droit de craquer. Ma position n'est pas faite pour les faibles. Celles qui n'ont pas la force et le caractère de surmonter les plus inimaginables ignominies orchestrées par leurs maris. Non, ma fonction ne consiste pas à m'habiller de manière chic à côté de mon mari, à bâtir une fondation, à construire des hôpitaux, à initier et diriger des œuvres sociales. C'est de la poudre aux yeux pour masquer les crimes, les combines machiavéliques, les assassinats politiques de mon époux.

Voilà maintenant trois décennies que mon mari règne sur son peuple, sur mon soutien et sur mon silence. Je ne pouvais pas ne pas confesser ma douleur. Elle me ronge depuis des années et risque de consumer ce coeur qui, de toute manière meurt à petit feu. J'étais comme toutes ces dames, femmes de politiciens. Ambitieuses et précipitées à hisser mon mari à la magistrature suprême, pour enfin devenir celle que j'ai toujours rêvé d'être depuis le temps que je suis tombée amoureuse de cet homme que je ne reconnais plus. J'assume tout ce qui m'arrive et tout ce que j'ai fait et vécu aux côtés de mon mari. Mais je ne ferai pas partie de ceux qui ne regrettent pas les actes qu’ils sont posés et qui ont débouché au désastre.

Je ne vous révélerai pas les secrets d’Etat, les différents plans et programmes de sécurité intérieure et extérieure concoctés sur les cadavres d’hommes révolutionnaires qui avaient une autre idée de la politique que mon mari. Je ne vous conterai pas tous les sacrifices humains effectués par les sbires du Président pour le maintenir au sommet de l’Etat. Je ne vous dirai pas le nombre de fois que mon mari a fait fermer de grosses entreprises et réduire au chômage des milliers de pères de famille, rien que pour se venger d’un homme d’affaires. Bref, je me passerai d’étaler ici les escapades et dérives sexuelles de mon mari et de ses hommes. Des dérives qui ont souvent conduit au suicide de femmes dont la dignité et l’honneur ne peuvent être atteints.
Retenez tout simplement que ma principale fonction a été de masquer durant toutes ces années les pires ignominies du régime très sadique de mon mari. J’ai donc les mains sales, très sales, comme Hoederer, par qui Sartre s’est appuyé pour interdire la politique à ceux qui veulent garder intacte leur pureté : « Si tu ne veux pas courir de risque, il ne faut pas faire de la politique... Comme tu tiens à ta pureté, mon petit gars. Comme tu as peur de te salir les mains. Eh bien reste pur ! A quoi cela servira-t-il et pourquoi viens-tu parmi nous ? La pureté, c’est une idée de fakir et de moine. Vous autres, les intellectuels, les anarchistes bourgeois, vous en tirez prétexte pour ne rien faire. Ne rien faire, rester immobile, serrer les coudes contre le corps, porter des gants. Moi j’ai les mains sales. Jusqu’aux coudes. Je les ai plongées dans la merde et dans le sang. Et puis après ? Est-ce que tu t’imagines qu’on peut gouverner innocemment ? (Les mains sales, Jean Paul Sartre)».
Eh oui, en politique, les partis, les discours, les campagnes et les propagandes n’ont qu’un seul but : le pouvoir. Tous les moyens sont bons pour accéder à la magistrature suprême. Et après, finis les convictions, les idées, projets pour le peuple. Oubliées, les promesses. Tout ce qui compte désormais, c’est comment manœuvrer pour rester au pouvoir. Et en politique, entendez par manœuvres, les pires bassesses humaines.

Etre la Première Dame, c’est sacrifier les plaisirs de la vie conjugale. C’est accepter et intégrer le fait que ton mari te trompe avec le peuple. Ce même peuple qu’on a tendance à abuser avec son propre argent par des campagnes de communication destinées à polir l’image du chef. Ce chef qui ne sait pas si les enfants de la campagne ont mis quelque chose dans leur ventre avant de s’endormir le soir. Ce chef qui ignore combien de ses gouvernés meurent dans les hôpitaux chaque jour, parce qu’ils n’avaient pas les moyens de payer les soins. Ce chef qui engraisse les leaders d’opinion, les hommes d’affaires capitalistes et les forces de sécurité pour avoir contrôlé la majorité. Ce chef qui n’a pas une once de pitié et encore moins de scrupule quand il s’agit de sacrifier un de ses collaborateurs, parfois le plus proche et le plus prompt à endosser les lourdes fautes de tout un régime.
Etre la Première Dame, c’est accepter d’être la femme du diable fait homme. Le diable est cette créature infernale qui se nourrit du mal des autres. Si vous ne voulez pas être sa compagne, gardez-vous d’épouser un chef d’Etat

Par Autrui