Conversation secrète - Une vieille dame mourante raconte à sa petite-fille albinos comment ses parents l'ont sauvée de la...

Photo illustrative
Le soleil s'enfonce de plus en plus laissant place à un horizon qui s'assombrit derrière la fenêtre de cette chambre d'hôpital située au troisième étage. Le crépuscule ouvre ses portes lugubres et s'apprête à avaler des heures de gloire rompues, des joies éphémères, des vies tantôt bien remplies tantôt écourtées... Sur un lit, une vieille dame mobilise ses dernières forces pour arracher au monde des ténèbres un héritage immatériel destiné à la postérité.
Cette vieille dame s'appelle Karina Poireau et c'est ma grand-mère. Comme si elle savait que ses yeux ne seraient pas témoins de la prochaine aube, elle m'a fait un signe de la main pour que je m'approche encore un peu plus de son lit. Plus que quelques centimètres séparaient mon visage du sien. Je me suis penchée vers elle de sorte qu'elle n'ait pas à s'épuiser davantage à hausser le ton de sa voix. Je savais qu'elle voulait me dire des choses, mais moi j'étais plutôt préoccupée par son état de santé.

- Grand-mère, tu es trop faible. Tu dois te reposer pour économiser tes forces. Ainsi, demain matin tu te réveilleras en pleine forme et avec une meilleure santé...
Elle a souri et malgré ses 90 ans, son visage couvert de rides, il restait toujours une preuve de sa beauté antérieure. 

- Tu sais ma chérie, le mot santé est toujours galvaudé quand il est utilisé pour une personne de mon âge. Le nombre de mes années vécues est forcément synonyme d’un mauvais état physique. Même si cela n'a pas toujours été le cas, en remontant l'histoire jusqu'au prophète Noé, qui selon les textes sacrés a vécu 950 ans...
Elle a soufflé un peu, puis a repris la parole.

- Sais-tu pourquoi tu es la seule personne à mon chevet sur ce lit d'hôpital ?

- Oui grand-mère. Parce que je suis le seul parent qu'il te reste sur cette terre. Tes deux enfants, mon père et ma tante Anna sont tous les deux morts il y a de cela une vingtaine d'années, lors d'un attentat à la bombe en Egypte, peu de temps après ma naissance...

- Hum ! Ça, c'est ce que l'on a voulu te faire croire.

- Mais qu'est-ce que tu veux dire par là grand-mère ?

- Ton papa et ta tante ne se sont jamais rendus en Egypte ce sinistre 24 avril 2006. Quant à ta pauvre mère, elle aurait bien pu être tuée par le chagrin et le rejet de la société. Quand tu es venue au monde, elle seule voulait de toi. Dans notre société, une mère qui met au monde un albinos est perçue comme porteuse de mauvais sort. Elle est donc mise à l'écart de tout et de tous. Ton grand-père paternel était dans tous ses états lorsqu'il a appris la nouvelle de ta venue au monde. C'est un miracle si tu vis aujourd'hui ta vingtième année ma chérie. Mon mari, qui était très puissant à l'époque, a tout fait pour effacer la "tache" que tu constituais dans le sang familiale. Mais que peuvent la volonté et la puissance de tous les hommes de cette terre quand l'Omnipotent entreprend de protéger un petit être sans défense...Il avait prévu de vous éliminer, ta mère et toi, au fil de la nuit. Et il avait engagé des hommes qualifiés pour faire ce genre de boulot. Ton père, ta maman et ta tante Anna sont tous passés. Mais pas toi.

- Mais grand-mère, tu veux dire que c'est grand-père qui a tué ma mère et ses propres enfants, mon père et ma tante... Mais quel genre d'homme peut faire ça ?

- Tu sais ma chérie, j'ai toujours cherché, en vain, à percer le secret par lequel Dieu arrive à réunir deux caractère si différents chez un seul et même individu. Ton grand-père était le plus doux et le plus tendre des humains quand il était avec moi. Mais c'était aussi le plus grand sadique et l'homme le plus craint du village quand il s'agissait de politique et de ses affaires. C'était un dictateur redouté dans ces deux domaines.

- Et toi, tu arrivais quand même à vivre à ses côtés tout en sachant toutes les immondicités dont il était l'auteur...

- Je ne pouvais pas quitter ton grand-père comme ça sur un coup de tête. Je savais qu'il ne me laisserait jamais m'en tirer facilement. Je suis restée pour mes enfants et j'ai accepté de supporter le monstre qu'il pouvait être en dehors de la maison...

- Et comment as-tu réussi à me sauver et à te sauver de cet homme ?

- Ton père et ta tante ont tout organisé. Il fallait faire croire à ton grand-père que ses deux enfants et sa belle-fille avaient réussi à s'échapper de la maison familiale avec le bébé albinos. Deux heures après leur départ, j'ai chargé un des gardes de ton grand-père d'aller lui annoncer la fuite organisée. Il a aussitôt rassemblé ses troupes et est parti sans réfléchir à leur poursuite. Je savais que ton grand-père comptait dans son réseau des commissaires de polices et des commandants de brigade et qu'il n'allait pas mettre beaucoup de temps avant de mettre la main sur les fugitifs. Mais pendant qu'il était sur les traces de tes parents, toi, tu étais bel et bien dans la maison familiale. Le plan de tes parents était d'éloigner mon mari de toi, le bébé maudit. Une demi heure après son départ, je suis sortie par la porte arrière de la grande demeure familiale avec toi. Un chauffeur engagé par ton père m'attendait à 2 heures 30 minutes précises pour m'emmener à la capitale... J'avais des contacts secrets dans cette ville et ton père avait tout mis au point pour réserver deux billets pour la France. Et nous étions dans l'avion avant midi pour un voyage dont la date du retour était tout ce qu'il y avait de plus incertain... Voilà ton histoire ma petite chérie. Celle que l'on ne t'a jamais racontée. Celle que tu devais savoir avant que je ne quitte ce monde pour toujours. Sache que trois hommes ont sacrifié leur vie pour que tu puisses survivre à des préjugés absurdes et immondes d'une société démodée. Avant leur départ, tes parents savaient qu'ils ne sortiraient pas vivants de leur plan. Ils m'ont fait promettre de tout faire pour te sauver, mais aussi de te donner tout l'amour du monde. Je ne m'appelais pas Karina. jadis, mon nom était Sofia Diallo. J'ai changé de nom pour échapper à ton grand-père et à son opiniâtreté. Il a tout organisé pour faire croire que ces enfants avaient péri dans l'attentat de Dahab en Egypte. Et comme ton père et ta tante voyageaient beaucoup à travers le monde, les journaux ont gobé son histoire. Ta maman avait disparu sans jamais être retrouvée. Voilà ton histoire ma petite chérie adorée. Maintenant, tu sais au moins qui tu es et pourquoi tu dois te battre pour vivre la plus belle des vies. Parce que c'est que ton père, ta tante Anna et ta maman souhaitaient de toute leur âme pour toi. Quant à moi, j'espère simplement que tu vivras assez longtemps pour me pardonner et aussi pardonner à ton grand-père. Parce que ta haine contre lui ne changera en rien l'histoire déjà passée...

Ma grand-mère s'est éteinte une heure après avoir fini de me raconter mon triste passé. Le plus difficile maintenant sera de vivre avec...

Par Autrui