Sarakhane et le "droit de tuer" ou la triste histoire d'un garçon condamné à 10 ans de prison pour...

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Matthew McConaughey avait donné à Samuel Lee Jackson "Le Droit de Tuer" dans une Amérique raciste où la discrimination des noirs battait son plein. Vous avez bien compris. Je fais allusion au superbe film de Joel Schumacher sorti en 1996 et inspiré du roman Non Coupable de  John Grisham. Ce mercredi 9 mars 2016, la Chambre criminelle de Dakar a ôté à Sakharane Diop le même droit. 
C'est l'histoire d'un individu qui voulait sauver sa vie au cours d'une bagarre où son agresseur a pris un coup qui lui a été malheureusement fatal. Triste histoire d'un condamné merveilleusement racontée par Thérèse Marie Louise Ndiaye.

Il est de ces jours où on aurait aimé se réveiller flemmard et passer la journée sous sa couette, juste pour fuir l'ouragan de dangers qui menace de vous engloutir. Qui n'en a pas connu ? Pas Sarakhane Diop ! Lui qui a été guetté par le danger, qui l'a emmené à tuer un homme, alors qu'il s'affairait tranquillement dans la dibiterie qu'il gère. Pour cet homme au crâne rasé qui a passé six ans en détention préventive, avant d'être jugé et condamné par la Chambre criminelle à 10 ans de travaux forcés, la vie a été propulsée dans le noir, sans qu'il puisse attirer au bon moment, l'éclat de la lumière. Hier, mercredi 9 mars 2016, après des années de privation de liberté, l'accusé Sarakhane a affronté les faits qui lui ont valu la prison. Cette fameuse nuit du 20 au 21 mars 2010 dans laquelle Hamidou Dia a été tué.

Ce qui s'est passé cette nuit-là

Les limiers du commissariat de police de Pikine (banlieue de Dakar) sont informés de la présence d'un individu, baignant dans son sang, sur la route menant au quartier Khourou Nar. Sur les lieux, les policiers constatent que la victime a été évacuée dans un établissement sanitaire, par les sapeurs-pompiers. Les premiers renseignements recueillis sur place font état d'une bagarre qui a opposé Hamidou Dia au nommé Sarakhane Diop alias Ngol, devant la "dibiterie" où travaille ce dernier.
Par la suite, vers 3 heures du matin, la famille de la victime informe les limiers du décès de Hamidou Dia, en cours d'évacuation et de l'admission de sa dépouille à la morgue de l'hôpital Principal de Dakar. L'enquête ouverte est ponctuée par l'audition de témoins. Et c'est le gérant de la "dibiterie" qui, en premier, fait face aux enquêteurs. "L'accusé était en train de préparer le thé, lorsqu'il a été rejoint, à son lieu de travail, par la victime qui l'a injurié. Puis, armé d'un couteau, Hamidou Dia lui a asséné deux coups à la tête et à la jambe. A terre, Sarakhane a récupéré l'arme, pour à son tour, en asséner un coup à son antagoniste".
Autres témoins entendus, Pape samba Dia et Abdou Gueye qui déclareront avoir entendu l'accusé crier, indiquant être poignardé par la victime. Le dernier témoin, Babacar Magassouba, dit avoir croisé, cette nuit-là, Hamidou qui lui proposera de rentrer avec lui. En cours de route, il a sorti un couteau sous l'aisselle droite, après l'avoir traité de "Boy Kognou Lobatt" (Un garçon de la cité). Il confie aux enquêteurs que le sieur était en état d'ébriété manifeste et qu'il avait même attaqué un chauffeur de taxi.

La version de Sarakhane

Le lendemain, 21 mars 2010, Sarakhane Diop s'est présenté spontanément au commissariat de Pikine, muni d'un certificat médical frappé de 21 jours d'incapacité de travail, établi par le docteur Latyr Diouf du cabinet médical "Keur Damel" sis aux Parcelles Assainies. Dans le procès-verbal, il est établi que Sarakhane portait des blessures à la jambe et à la tête. 
Sans chercher à se dédouaner, il est revenu intégralement sur les faits, déclarant que son jeune frère, Bamba Diop qui fréquente le même "Dahira"(assemblée de musulmans appartenant à une même confrérie) que Hamidou Dia, lui a confié que ce dernier s'en est pris à lui. Son frangin voulait qu'il ramène Hamidou à la raison, car il menaçait de le violenter. En bon grand frère, Sarakhane est allé, accompagné de son frangin, au siège du "Dahira" où ils ont trouvé la victime qui s'est attaqué à lui. Il ajoute avoir échangé des brutalités avec Hamidou et ce n'est que par la suite qu'il est retourné à son lieu de travail. Trente minutes après, Hamidou l'y a trouvé et l'a invité à le suivre. Il déclare avoir voulu répondre au défi, mais a été retenu par un client.
Ainsi, Hamidou s'est retiré, sans pour autant lâcher du lest. Un quart d'heure plus tard, il revient à la charge, pour encore s'attaquer à l'accusé. Sarakhane raconte alors, comment, adossé au mur, Hamidou Dia a sorti un couteau de sa ceinture pour l'attaquer. N'ayant plus aucune issue, il s'est rué vers son antagoniste, qui lui a donné un coup de couteau à la tête, et s'est agrippé à la lame. Ce qui lui a occasionné plusieurs blessures à la main. Il est, dit-il, parvenu à le terrasser, avant d'être à nouveau poignardé au niveau de la jambe droite. C'est ainsi, dit-il, qu'il a récupéré le couteau, pour lui en asséner, à son tour, un coup avant de quitter les lieux et de jeter l'arme. 
Informé du décès de Hamidou Dia, il s'est spontanément présenté à la police. Lors de son audition sur le fond, il a confirmé ses déclarations de l'enquête préliminaire et précisé s'être battu seul contre le défunt, contrairement à la thèse des parents éplorés. Il soutient n'avoir eu aucune intention d'attenter à la vie de Hamidou Dia et que, tous les témoins de la scène se sont écartés, lorsque ce dernier a sorti le couteau, de peur d'être blessés.

Les débats, la sentence...

Sarakhane Diop s'est voulu très clair à la barre : "C'est en essayant d'arracher le couteau, alors que j'étais à terre que le coup l'a atteint". L'accusé, qui perdu son père durant son séjour en prison explique : Quand j'ai été blessé, mon premier réflexe a été d'aller à l'hôpital. A ce moment, mon père était malade et je me suis dit que s'il me voyait dans cet état, il risque de piquer une crise. Je suis allé chez un ami qui a nettoyé le sang sur mon corps".
En effet, dans sa déclaration, il a expliqué que juste après qu'on les a séparés, il a senti du liquide sur son dos, et que après vérification, c'était du sang. "J'avais des vertiges et je ne pensais pas qu'il était blessé. Je pensais plutôt que j'étais plus blessé que lui. C'est après qu'un de mes parents m'a annoncé sa mort. Je n'ai pas voulu y croire et Dieu sait combien j'ai prié pour que ce soit faux", a déclaré Sarakhane.

Après le passage des neuf témoins, le Procureur de la République a requis les travaux forcés à perpétuité. La défense, assurée par Mes Mamadou Diouf et Ramatoulaye Bâ Bathily, a plaidé la légitime défense, demandant la disqualification des faits en coups et blessures ayant entraîné la mort, sans l'intention de la donner. Selon Me Bathily, "c'est lui (Sarakhane) qui allait y passer, s'il n'avait pas résisté. Un coup à la tête c'est grave. Si vous frappez une personne avec un couteau, c'est pour la tuer. Ce n'est pas un monstre. S'il n'avait pas résisté, il serait aujourd'hui au cimetière. Les témoins n'ont pas osé les séparer, car ils ont entendu parler de couteau, ils se sont écartés. certains l'ont reconnu à la barre". L'avocate a poursuivi sa plaidoirie avec une anecdote : "Lorsque Sarakhane a été arrêté, le policier disait qu'une semaine avant les faits, le défunt avait été arrêté et que sa mère avait supplié pour qu'il soit remis en liberté... si on l'avait déféré, il ne serait pas mort".

Maintenant, il reste à Sarakhane Diop quatre longues années à passer en prison. Des années qu'il ne pourra jamais rattraper tout comme la vie de sa victime Hamidou Dia, partie à jamais. Des regrets, il y en aura toujours. Deux vies parties en fumée, le temps d'une bagarre qui a eu pour seul promoteur l'indifférence des autres...