Douloureuse confidence d'un père, d'un mari : "Ce soir de Noel là quand j'ai poussé la porte de ma maison et que..."


Jean-Christophe Grangé ne pensait pas si bien dire en affirmant ceci dans Le Passager : "L'âme humaine n'est pas un cuir qui se tanne avec les épreuves. C'est une membrane sensible, vibrante, délicate. En cas de choc, elle reste meurtrie, marquée, hantée..."

J'avais tellement hâte de rentrer chez moi, ce soir-là que j'ai pas fait attention. J'avais déjà été ailleurs et... je suis tombé en panne d'essence. C'était la veille de Noel. Je me suis garé au bord de la route. Il avait dû neiger plusieurs jours d'affilé. Pas une seule voiture en vue, personne pour venir à mon secours. Il n'y avait que moi et mes cadeaux dans le coffre. Il y a plus de vingt ans déjà...
Je suis rentré à pied. C'était à une petite dizaine de kilomètres. Tout était si tranquille. Le froid, et une blancheur immaculée. Pendant le trajet, je les imaginais toutes les deux chez nous. Le flot des lumières s'échappant des vitres, la fumée sortant de la cheminée, ma fille assise au piano en train de jouer. La bonne odeur du sapin, du feu de bois et de la dinde qui rôtit dans le four. Je m'en voulais tellement à l'idée que Noel allait être gâché par ma faute que j'arriverais en retard, j'avais dû laisser les cadeaux dans la voiture... 
Et plus je me rapprochais de la maison, plus je réalisais le comique de la situation et combien l'histoire les ferait rire : moi qui tombe en panne d'essence. Et j'imaginais combien elles s'amuseraient chaque Noel suivant à raconter l'histoire, la joie qu'elles prendraient à me taquiner... C'est là qu'enfin, je suis arrivé. J'ai poussé la porte, il y avait du sang partout. Tout ce que j'ai vu, c'était du sang. Il n'y avait que ça, du sang partout. Je sens encore l'odeur de son cou, quand je me suis penché sur elle pour l'embrasser. Je sens toujours la caresse de ses doigts, qui venait effleurer ma joue. Je l'entends toujours me chuchoter des mots à l'oreille...
C'est la raison pour laquelle je ne suis jamais allé à Florence admirer le Ponte Vecchio, seule architecture routière italienne à échapper aux bombardements de la Deuxième Guerre Mondiale. C'est la raison pour laquelle je ne suis jamais allé à Jérusalem, cette ville trois fois sainte : Al Qods pour les Musulmans, Jérusalem pour les Chrétiens et Yerushalayim pour les Juifs. C'est également la raison pour laquelle je ne me suis pas rendu à maints endroits de cette terre où j'aurais tant aimé poser mes pieds, en compagnie de ma petite famille d'alors...