J’ai rencontré ma Johanna dans un bar à Amsterdam. Je n’avais
que 27 ans et pour la première fois depuis que j’étais aux Pays-Bas, je suis
sorti avec quelques camarades de promotion pour fêter le diplôme qui couronnait
quatre années d’études et de recherches sur la Civilisation occidentale.
Pendant que mes compagnons se défoulaient à fonds sous le rythme soutenu d’un
groupe de rock local et draguaient toutes les filles qui leur tombaient sous le
nez, je m’étais installé dans un coin discret du bar pour admirer le spectacle,
mais surtout pour savourer ma réussite à l’examen final. Tantôt j’éclatais de rire quand un de mes
copains prenait une grosse baffe après
avoir tapoté les fesses d’une des jolies blondes qui traînaient sur la piste.
Tantôt je songeais à ce que pouvait ressembler le Sénégal que j’avais quitté il y a
quatre ans. J’avais hâte que la cérémonie de remise de diplôme se fasse et qu’ensuite
j’embarque dans le premier vol pour Dakar. Mais vous savez tous que les
rencontres les plus inattendues se révèlent être les plus belles et les plus
promptes à produire les histoires les plus merveilleuses.
Quand une silhouette est sortie de la lumière tamisée du bar pour se diriger droit vers moi, j’ai oublié que derrière moi, il n’y avait que le mur du fond. Je me suis alors retourné pour voir s’il y avait une quelconque autre âme qui puisse être la raison du déplacement de cette fille à la démarche simple mais teintée de sûreté. Je ne pouvais pas imaginer qu’un tel privilège me soit destiné alors qu’il y avait sur la piste d’en face les plus beaux mecs de la planète... J’ai jeté un coup d’œil à ma droite, il y avait un couple en chemin pour le septième ciel. A ma gauche, c‘était le néant. En trois secondes, l’hypothèse que la fille avait pour destination ma table s’est confirmée à hauteur de 90%. Plus que trois mètres la séparaient de ma table. Et tout d‘un coup, le charmant accent américain de son français régula la température interne de mon corps qui commençait à déteindre sur mon front…
- - Bonsoir, monsieur
- - Bonsoir
- - Est-ce que je peux me joindre à vous ?
- - Mais bien sûr, je vous en prie
- - Je vous ai entendu parler un bon français tout à
l’heure avec vos amis quand vous êtes arrivés devant le bar
- - Ah d’accord
- - Moi, c’est Johanna et vous ?
- - Badou, Badou Diouf, pour être plus précis
- - Ah, vous n’êtes pas français ?
- - Non, je suis Sénégalais, du Sénégal, Dakar,
Afrique
- - (Rires) Je connais bien le Sénégal et une bonne
partie de l’Afrique
- - Ah bon ? Vous êtes déjà allée au Sénégal ?
- - L’année dernière je suis venue à Dakar. J’ai
fait là-bas trois jours avant de partir dans le Fouta pour une mission de trois
mois.
- - Ouaww ! Très enchanté de rencontrer une
personne qui s’intéresse à mon pays, mon peuple… Vous êtes Hollandaise ?
- - Non, mon père est français, ma mère est une Américaine
qui a ses origines ici. Moi, suis une Américaine qui adore Paris. Et vous qu’êtes-vous
venus faire à Amsterdam ?
- - Etudier. J’ai eu une bourse de l’ambassade des
Pays-Bas à Dakar après avoir obtenu ma Licence en Lettres-Modernes. Et je suis
venu étudier les Civilisations occidentales…
- - Humm ! Et qu’est-ce que tu peux m’apprendre
sur ma propre histoire ?
- - Eh bien, pour faire simple, je te dirai que tes
ancêtres étaient tous des barbares. Au fil des siècles, tes grands parents en
ont eu marre de la barbarie. Ils ont alors inventé un mot : la Civilisation.
L’ensemble des connaissances, des idées,
des mœurs du peuple furent mis au service du développement économique, social
et culturel de l’Occident. Seulement, tes grands parents ne savaient pas que
chaque peuple avait sa propre civilisation. Ils ont alors cru bon de soumettre
les autres peuples à leur propre mode de vie et de pensée. Et la religion constitua
un terrifiant costume pour la barbarie. De génération à génération, l’éveil des
consciences poussa tes grands-parents à abolir l’esclavage, puis à mettre fin à
la colonisation. Tes parents ont fait l’histoire, les miens l’ont subie… Mais
si nous voulons que ces pages sinistres soient à jamais ensevelies, il nous
faut nous, génération d’aujourd’hui, apprendre à nous accepter les uns les
autres tels que nous sommes.
- - Hum ! Bien dit. Mais j’ai l’impression que
tu en veux toujours à mes ancêtres ?
- - Non, crois-moi, j’ai pardonné pour ce qui est de
ma part, sinon, nous n’aurions pas cette conversation toi et moi…
- - D’accord Badou. Mais est-ce qu’on peut sortir de
ce chapitre pour parler d’autre chose ?
- - Eh bien, parlons de toi. A part que tu t’appelles
Johanna, que tu as un père français et une mère américaine d’origine
hollandaise, je ne sais rien d’autre de toi.
- - Et qu’est-ce que tu veux savoir d’autre sur moi ?
- - Ce que tu fais dans la vie, ce qui t’a le plus
marqué… je sais pas moi...
- - Je travaille avec une Ong américaine qui milite
pour le droit et la promotion de la femme. Je voyage beaucoup dans les zones où
la femme est souvent considérée comme un objet sexuel ou une simple génitrice. Avec
mon équipe et les moyens mis à notre disposition, nous travaillons à donner aux
femmes que nous rencontrons la capacité de prendre leur avenir en main.
- - En résumé, vous les poussez à ne point se
soumettre ?
- - Pas exactement. Nous les aidons à dire non à
certains abus imposés par des sociétés qui refusent encore l’avancée des
consciences.
- - Ok. Mais tu n’as répondu qu’à une seule de mes
deux questions…
-
Mais c’est toi qui m’as interrompue. Et puis de
toute façon, je ne peux pas encore te dire ce qui m’a le plus marqué dans la
vie. Une autre fois peut-être...
J’ai abandonné mes camarades ce soir-là
pour accompagner Johanna jusque chez sa grand-mère. Nous avons marché trois
kilomètres et demi dans la nuit très animée des rues de cette ville
perpétuellement en fête. Je lui ai raconté l’histoire pleine de vertu et de
dignité de mon ancêtre Buur sine Coumba Ndoffène avec le grand marabout Cheikh
Ahmadou Bamba (Fondateur du Mouridisme). Je lui ai parlé de Joal et elle m’a
demandé si les « Signares à l’ombre verte des vérandas » existaient
toujours. Je lui ai parlé de la culture Sérère et en langue peul, elle m’a
clairement fait savoir que j’étais désormais son « cousin à plaisanterie ».
Je suis resté un moment bouche-bée devant cette belle femme blonde et élancée
qui rivalisait de culture générale avec un maîtrisard en « Civilisations ».
Il faut quand même reconnaître qu’il n’y en a pas beaucoup comme elle qui ont
la tête assez pleine pour soutenir certaines conversations.
En Occident, la blonde est souvent vue comme un bel emballage, une coquille vide. Moi, j’étais à la fois marqué par son physique et par sa culture… Quand nous sommes enfin arrivés devant la porte de la maison de sa grand-mère, je lui ai dit combien j’ai été séduit par sa culture générale. Et quand j’ai voulu prendre congé d’elle, elle m’a invité à déjeuner le lendemain chez sa grand-mère. Je ne me suis pas fait prier pour accepter. Et quand je lui ai tourné le dos pour rentrer, elle m’a lancé :
En Occident, la blonde est souvent vue comme un bel emballage, une coquille vide. Moi, j’étais à la fois marqué par son physique et par sa culture… Quand nous sommes enfin arrivés devant la porte de la maison de sa grand-mère, je lui ai dit combien j’ai été séduit par sa culture générale. Et quand j’ai voulu prendre congé d’elle, elle m’a invité à déjeuner le lendemain chez sa grand-mère. Je ne me suis pas fait prier pour accepter. Et quand je lui ai tourné le dos pour rentrer, elle m’a lancé :
-
- D’habitude, ils cherchent tous à me mettre dans leur lit le premier soir. Et toi, tu n’as même pas cherché à m’embrasser une seule fois…
- D’habitude, ils cherchent tous à me mettre dans leur lit le premier soir. Et toi, tu n’as même pas cherché à m’embrasser une seule fois…
- - Tu viens donc d’avoir la preuve qu’ils ne sont
pas tous les mêmes… Bonsoir Johanna.
Elle a souri avant d’ouvrir la porte d’entrée… En route, j’ai pensé retourner dans le bar pour retrouver mes camarades, mais j’ai vite déchanté. Je suis allé me coucher tout en sachant que j’allais passer le reste de la nuit à ressasser les différents moments de la belle rencontre que je venais de faire.
Je me rendis comme convenu chez Johanna, le
lendemain vers midi. C’est sa grand-mère qui est venue ouvrir quand j’ai sonné
à la porte. Les traits de son visage trahissaient inexorablement les origines
de la beauté de Johanna.
- - C’est Badou, j’imagine ?
- - Oui, c’est bien moi, madame
- - Entrez je vous prie. Johanna est dans la
cuisine et je vous préviens, vous avez intérêt à prévoir des en-cas parce qu’elle
est loin d’être un cordon bleu. (Rires)
- - (Rires) Ne vous inquiétez pas pour moi, madame.
De toute façon, elle ne peut pas faire pire que mon colocataire allemand.
- - Prenez place Badou. Qu’est-ce que je vous sers à
boire ?
-
- Un verre
d’eau suffira pour moi, madame.
-
Ah je vois, vous êtes musulman et vous n’avez
pas le droit de prendre de l’alcool.
- - Vous avez tout compris, madame. Vous êtes
perspicace
- - C’est ça. Moquez-vous encore de votre future
belle-grand-mère et je vous priverais de la main de ma petite-fille adorée…
(Rires)
- - Toutes mes excuses future belle-grand-mère
(Rire)
Et Johanna débarqua dans le salon tout en sueur avec son tablier qui masquait très mal ses formes généreuses bien moulées dans le pantalon jean très serré qu’elle avait enfilé…
- - Qu’est-ce que t’a raconté cette bonne vieille
dame sur mon dos ? (Elle sourit en tenant par ses deux bras les épaules de
sa grand-mère)
- - Que de belles choses. Crois-moi
- - Hum ! Mammy a été donc sage. Une fois n’est
pas coutume (Rires). Bon, on va passer à table dans une demi-heure. En
attendant, laisse-moi prendre un bon bain.
Et elle arpenta les rampes de l’escalier telle une athlète tout en enlevant le tablier qu’elle semblait supporter malgré elle… Je vous passerai le repas très terne et les blagues de sa grand-mère à table. Je vous passerai les remarques moqueuses sur son riz au poisson rouge dont la saveur était si loin de ceux que nos mamans sénégalaises préparent dans les maisons à midi. Je vous passerai également les talents de maquerelle de sa grand-mère, qui après le dessert a laissé entendre avant de s’en aller que de tous les hommes qui s’étaient présentés à son domicile pour conquérir sa petite-fille, après le divorce de cette dernière, j’étais celui au fond de qui elle voyait la capacité de rendre sa Johanna heureuse le reste de ses jours…
- - Pourquoi tu m’as caché que tu t’étais une fois
mariée ?
- - Parce que tu ne me l’as pas demandé. Et puis, c’est
une partie de ma vie que je veux définitivement oublier…
- - Hum ! Ta grand-mère est très sympathique et
très drôle aussi. J’en ai rarement rencontré des personnes de son âge, au cours
de mon séjour à Amsterdam, qui sont aussi ouvertes d’esprit. Et elle a raison
sur un point. Tu ne souffriras jamais à mes côtés.
- - Ecoutez-moi ce petit prétentieux (Rires). Et qu’est-ce
qui te fais croire que je voudrais être avec toi ?
- - Rien, à part mon intuition qui me trompe
rarement. Mais tout ce que je sais depuis notre rencontre d’hier, c’est que je
me sens bien avec toi.
- - Moi aussi je me sens bien avec toi. Mais tu dois
d’abord me promettre de me rendre heureuse le restant de mes jours sur cette
terre avant que je n’accepte d’être avec toi. Et attention à ce que tu vas dire
parce que je vais enregistrer ça sur mon portable.
Elle sort son téléphone portable et active l’application dictaphone avant que je ne me lance.
- - Non seulement je te promets, mais je te jure
Johanna qu’à mes côtés tu ne trouveras une source de larme si ce n’est la joie
et le bonheur.
- - C’est dans la boîte. Tu peux considérer dès
aujourd’hui mon Badou que je suis entièrement à toi…
A suivre…
Par Autrui
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