Dixième et dernier chapitre du "Film de ma descente aux enfers..."


L'enfer est pavé de bonnes intentions,  dit l'adage. Mais quelles étaient les miennes au moment de me lancer dans cette entreprise ? Je ne sais même pas. De toute façon, je suis mal placée pour juger mes actions ou celles d'autrui comme bonnes ou mauvaises. Après tout, qui suis-je, à part une sale pécheresse en quête de repentir.
L'enfer ne se présente jamais à nous avec sa face hideuse et immonde. Il envoie le démon, paré de ses plus beaux atours pour nous séduire, nous bercer d'illusions et nous vendre des rêves pourris à l'intérieur...
L'enfer est sans doute le plus vilain et le plus monstrueux endroit qu'un être puisse habiter. Mais gare à vous si la beauté et à la splendeur de ses murs dorés vous poussent à les escalader. Malheur à vous, si jamais vous êtes tentés d'ouvrir ses portes ornées de pierres précieuses. Damnés, vous serez si jamais vous décidez de côtoyer les créatures féeriques qui se promènent aux alentours de cette cité maudite...
J'étais jeune et pas du tout préparée à vaincre un ennemi aussi subtil dans sa manière d'engager le combat. Aujourd'hui, je suis seule au fond d'un trou où je prie pour que chaque minute qui passe soit la dernière pour moi sur cette terre.

Quand je me suis rendue chez moi pour tout déballer à ma mère, j'ai trouvé ma grande soeur Anna sur place. Elle était venue rendre visite à maman. Ce jour-là, je ne peux même pas vous décrire la joie intérieure qui m'habitait. Les deux personnes que je chérissais le plus au monde étaient là face à moi. Pour la première fois on était restés plusieurs mois sans se voir. Elles étaient si contentes et si rassurées de me revoir en excellente santé. La rancœur suscitée par les fâcheux événements qui ont précédé le mariage d'Anna avait cédé la place à la fibre maternelle et celle sororale. Mais j'avais le visage tellement grave qu'elles devinèrent que je n'étais pas porteuse d'une bonne nouvelle.
Ma mère tenta de me faire croire qu'elle s'était inquiétée pour mon sort. Personne ne m'interrogea sur ma grossesse. Je finis par comprendre que ce serait délicat de faire resurgir cet épisode en présence d'Anna. De toute façon, je n'étais pas venue pour sympathiser ou pour demander pardon. J'étais là pour prévenir ma mère de la situation et des terribles révélations que Mami m'avait faites.
Quand j'ai commencé ma narration, ma mère et ma soeur étaient toutes surprises. Maman avait les mains qui tremblent, tandis qu'Anna était toute en sueur. Je n'avais même pas terminé quand ma mère m'a demandé de lui accorder une petite minute pour parler à l'un des chauffeurs de la maison.
Elle est revenue cinq minutes plus tard disant :
- Ma chérie, si tout ce que tu dis est vrai, alors nous n'avons plus rien à faire dans cette maison. Je vais prendre quelques affaires et le chauffeur va nous emmener loin d'ici. Anna, va chez toi prendre quelques habits. Moi, je vais passer à la banque pour vider mon compte. Toi Véronique, tu nous retrouves avec ta voiture dans une demi-heure ici devant la maison...

Convaincue par le plan de ma mère, j'ai pris ma voiture et suis retournée à mon appartement pour prendre quelques bagages pour le voyage. Je ne pouvais pas imaginer que j'étais suivie par trois solides gaillards envoyés par ma mère pour me ligoter avant de me mettre dans la malle d'une grosse voiture qui appartenait certainement à mon père.
Quelques minutes après être montée dans mon appart, on a sonné à la porte. J'ai cru que c'était Samba. Il avait promis de passer me voir dans la matinée. Mais quand j'ai ouvert, trois hommes se sont jetés sur moi. Ils m'ont rouée de coups avant de mettre l'appartement sens dessus dessous. Tandis que l'un d'entre eux se chargeait de m'attacher les bras avec une corde, les deux autres fouillaient le studio de fond en comble. Ils cherchaient sans doute des preuves que je pourrais détenir contre mon père et ses associés. Ensuite, j'ai été assommée par un violent coup sur la tête...

Quand j'ai repris connaissance, j'étais dans un endroit très sombre avec quatre jeunes filles qui n'avaient plus toute leur tête. Elles pouvaient passer des heures et des heures à crier et les échos me revenaient comme des coups de marteau sur le crâne. Je ne sais pas combien de jours je suis restée là-bas avec ces filles parce que je n'avais plus les notions de jour et de nuit. Il faisait toujours très sombres dans cette pièce. Il y avait néanmoins un lavabo et un sac rempli de pains.
A un moment, l'une d'entre les filles a cessé de crier. Elle était inanimée. Je me suis rapprochée pour voir ce qu'elle avait. Son corps était aussi froid que le perron sur lequel on était assis. La pauvre, elle était morte. Quelque temps après, une autre s'est tue elle aussi à jamais. L'odeur dans la pièce était invivable. J'ai enlevé le haut que je portais pour l'inhiber avec l'eau du lavabo afin de le mettre sur mon nez. Cela m'aidait à respirer plus sainement. Il y avait moins de cris que d'habitude. Puis, plus de cris du tout. Toutes les quatre filles étaient mortes. Les unes en état de putréfaction très avancé, les autres enflaient. J'ai rassemblé les forces qui me restaient pour regrouper les corps dans un coin de cette pièce sinistre.
Je grignotais le pain sec, vomissais, m'évanouissais et me réveillais seule au milieu de nulle part...Je ne pouvais plus bouger. J'avais des hallucinations et je commençais réellement à perdre la tête. J'allais certainement finir comme les quatre filles si des hommes n'étaient pas venus me tirer de là...

On m'a ensuite emmené dans un endroit très raffiné où un médecin et son équipe médicale semblait m'attendre. On m'a fait plusieurs perfusions. J'ai dormi des heures et des heures.Et quand je me suis réveillée, le médecin qui s'occupait de moi est venu me poser des questions sur mon identité et sur ce qui s'était passé. J'ai feint de tout avoir oublié, mon nom, mes parents, la pièce sinistre... tout. Je n'avais plus confiance en personne. Il est sorti pour passer un coup de fil dans le couloir et est revenu cinq minutes après pour dire que je pourrais partir dès que j'aurais récupéré assez de forces.

Avant de sortir de cet endroit qui était en fin de compte une clinique, le médecin m'a tendu une enveloppe kaki. Il m'a dit que le téléphone qui était dedans allait sonner après la prière du crépuscule et qu'il fallait que je décroche si je voulais sauver ma vie. Il m'a demandé également de mettre un voile pour ne pas qu'on découvre mon visage.
Dans la rue, je ne pouvais plus marcher deux pas sans me retourner. La peur m'habitait désormais. Je suis retournée à l'immeuble pour voir si je pourrais revoir Samba "le courtier". J'ai trouvé un nouveau concierge qui m'a appris que Samba a été mortellement agressé par une bande de voyous, un soir alors qu'il rentrait chez lui. Je lui ai demandé s'il y avait quelqu'un dans le studio du deuxième étage, il m'a dit qu'il n'y avait personne pour le moment. Que l'appartement avait été mis sous-scellé par la police après le meurtre d'une jeune fille qui occupait les lieux. Un puissant homme d'affaires est soupçonné d'être la dernière personne à l'avoir vu vivante.
Le téléphone portable se mit à sonner. Un appel masqué. J'ai décroché et c'était Yannick au bout du fil. Il m'a indiqué un endroit où l'on pourrait se rencontrer et suis partie le retrouver là-bas.
Le mari de ma soeur, ma "sale passion" de jadis était là devant moi, toujours aussi beau, avec un corps toujours aussi athlétique. Mais, j'avais d'autres chats à fouetter...
Yannick m'expliqua comment il avait fait pour me tirer du trou dans lequel j'étais, après avoir surpris son père en train de donner des directives à l'un de ses gardes tout en mentionnant ses champs qui se situaient hors de la ville.
- J'ai donné beaucoup d'argent au garde pour qu'il fasse croire à mon père que tu étais enterrée quelques part dans les champs avec les autres filles. J'ai ensuite appelé mon ami médecin. Nous partagions le même appartement lorsqu'on était étudiant à Paris. Il a pris soin de toi dans sa clinique avec la plus grande discrétion. Je crois que je te devais au moins cela après tout ce que tu as vécu, en partie par ma faute. Moi, je vais quitter le pays dans deux jours. Voici cinq millions de Francs pour te trouver un nouvel endroit et recommencer une nouvelle vie...
- Et tu penses que cet argent suffira à me restituer tout ce que j'ai perdu. Ma famille, ma vie...
- Non Véronique. Mais c'est tout ce que je pouvais faire. Suis vraiment désolé... Pars loin de Dakar si tu le peux et change même d'identité. Pour tes parents et les miens, pour Anna, tu es morte et enterrée. Et c'est mieux comme ça. Maintenant, si tu as survécu à tout ce qui s'est passé, c'est que tu es assez forte pour continuer...
Yannick m'invita à passer la nuit dans son appartement privé. Je n'avais nulle part où aller. Alors j'ai accepté. Il a dormi dans le salon et il m'a laissé sa chambre. Je pense qu'il savait tout ce que j'avais vécu de pénible et de monstrueux dans la sinistre pièce qui se trouvait dans le champs de son père. Mais il y a aussi le fait que je n'étais plus cette fille attirante qui l'excitait tant... J'ai fait des cauchemars toute la nuit. Je m'endormais et me réveillais en criant fort, très fort. Les visages de mes quatre défunte camarades troublaient mon sommeil.
Je me suis levée bien avant l'aube et suis partie sans dire au revoir à Yannick qui dormait sur le canapé. J'ai alors décidé de suivre ses conseils et de partir loin de Dakar. Je n'étais plus la même jeune fille, belle, sensuelle et sexy. Les épreuves et les supplices avaient pris le dessus sur ma jeunesse et ma beauté...

Deux ans après être atterrie à Saint-Louis, on m'a diagnostiqué un cancer très avancé du sein. J'ai dû revenir sur Dakar pour faire une ablation. J'ai combattu, lutté, résisté face aux tentatives de mes proches de m'éliminer. J'ai survécu aux épreuves de la vie. J'ai échappé à la mort... Mais cette fois-ci, j'ai décidé d'abandonner. Le docteur m'a dit que la chimio thérapie était le seul moyen d'arrêter la progression de la maladie. Je lui ai dit que je ne voulais plus souffrir davantage. Qu'il était temps que je parte en toute tranquillité. Il a cherché à me convaincre en me montrant des photos de femmes qui avaient survécu grâce au même traitement. Mais j'étais à bout de souffle. Je lui ai fait croire que j'allais revenir la semaine d'après pour qu'on débute le traitement et je suis repartie à Saint-Louis.

Aujourd'hui, il me reste près de trois mois à vivre. La maladie me ronge chaque jour un peu plus. Et le pire, c'est que je n'ai même plus un photo de ma jeunesse pour revoir la belle silhouette que j'avais à mes 17 ans.
J'ai cédé à une passion et ma vie a basculé dans le mauvais sens. J'ai pris de très mauvaises décisions et je paie pour mes erreurs. Quand le démon m'a tendu ses bras, il était si beau et tellement irrésistible. Et quand j'ai suivi ses pas, il m'a emmenée dans les méandres de l'enfer. J'espère sincèrement avoir touché le fond. Parce que de souffrir, mon corps et mon coeur se sont lassés...

Par Autrui