Chapitre 6 du "Film de ma descente aux enfers..."


Je m'imaginais les larmes d'Anna, prendre le dessus sur son sourire politiquement correct, durant tout le temps que durerait la cérémonie de mariage. Je m'imaginais la joie calculée de mon père, qui vendait ainsi l'âme de sa fille aînée pour des noces qui allaient sceller l'alliance entre son patron et lui. Je m'imaginais la peine de ma mère qui ne savait pas où sa fille préférée se trouvait depuis trois jours. Seule dans la chambre de Mami, je me sentais plus que jamais coupable de cette situation qui venait d'exploser notre famille.

Anna a dit Oui à Yannick devant Dieu et devant les hommes. Elle va rejoindre le domicile conjugal, accompagnée de son mari, à la fin de sa lune de miel, programmée hors du pays. Moi, je n'ai personne à qui me confier. J'hésite entre tout révéler à ma camarade de classe Mami et revenir sur ma décision de mener ma grossesse à terme, repartir chez moi faire la paix avec mes parents. Mais l'entretien avec mon père dans son bureau écarta la deuxième option de mon coeur. Il ne restait plus qu'à faire confiance à ma copine de classe.
Quand j'ai raconté à Mami mon histoire dans les détails, elle n'en revenait pas. Elle a même fondu en larmes avant de me conseiller de mettre un terme à ma grossesse et de prendre un nouveau départ avec mes parents. Elle m'a dit que j'étais trop jeune pour affronter la cruauté du monde actuel. Elle avait peut-être raison à l'époque. Mais cela ne veut pas dire que je regrette d'avoir pris la décision de faire une croix sur mon père. Après deux semaines passées chez elle, Mami me signifia un matin que je ne pouvais plus rester chez elle. Que sa tante ne pouvait plus prendre la responsabilité de garder la fille, encore mineure, de l'un des hommes les plus influents de la ville sous son toit, sans son consentement. Elle me remit 50 000 Fcfa de la part de sa tante. Cette dernière lui avait également donné le numéro d'un courtier qui pourrait m'aider à trouver un studio qui me servirait d'abri provisoire. Pour ce qui s'agit de mon année scolaire, c'était le cadet de mes soucis.

Quand j'ai appelé le soi-disant courtier qui m'a été recommandé, il était déjà enchanté d'avoir de mes nouvelles. Il attendait mon appel. J'imagine que la tante de Mami lui avait déjà touché un mot sur ma situation. Je pris rendez-vous avec lui pour l'après-midi. Je l'ai retrouvé devant un immeuble de sept étages en plein centre-ville. Il m'emmena dans un luxueux appartement situé au deuxième étage.
- Tu peux rester ici pour 250 000 Fcfa le mois. Fanta (C'est la tante de Mami) m'a expliqué ta situation. Alors tu n'auras pas besoin de verser une caution. Mais tu devras vite trouver un travail si tu n'en as pas encore. Parce que c'est pas donné à tout le monde d'habiter dans cet immeuble. Si tu veux je peux te brancher à un réseau très lucratif. Ainsi tu pourras vivre aisément en toute indépendance.
J'étais fatiguée et je lui ai répondu qu'on allait en reparler après. J'étais loin d'être impressionnée par le luxe de ces lieux. Mon souci était d'arriver à payer la location avec mes propres fonds.
Je dormis tout l'après-midi. Durant ces terribles moments de ma vie d'adolescente, le sommeil était le seul moyen pour moi de m'évader loin, très loin des turpitudes de la vie.

A mon réveil, vers 19 heures, j'ai pris un bon et long bain avant d'appeler Samba mon courtier. Quand il est monté dans ma chambre, je lui ai demandé de me parler de son "réseau très lucratif". Il a alors sorti un carnet de note de sa poche et m'a montré une liste de personnalités très influentes avec leurs contacts.
- Tu vois tous ces gens-là ? Ils sont riches et très influents dans ce pays. Tu peux avoir tout ce que tu veux en les côtoyant, si tu sais bien prendre soin d'eux.
- Tu joues les proxénètes ou quoi ?
- Je ne le prendrais pas comme ça, si j'étais à ta place. Ecoute, tu es une très belle fille et ton avantage est que tu es assez jeune. Et ces hommes-là raffolent des jeunes filles de ton âge. Tu traverses des moments difficiles et je ne vois pas par quel autre moyen tu pourrais t'en sortir dans cette ville. A part faire comme les sans-abri et dormir dans tous les coins de rue.
- Et c'est la seule proposition qui tu as à me faire ?
- Je suis vraiment désolé, mais c'est tout ce que j'ai Véronique. Tu peux prendre deux jours pour y réfléchir. Mais attention, il y a des dizaines de filles de ton âge dans cette ville qui n'attendent que mon appel pour exploiter cette opportunité...
Avais-je le choix ? Je pense aujourd'hui que oui. Je n'avais qu'à quitter cet endroit et retourner chez moi. Même si c'était pour demander pardon à mon monstre de père. Mais l'idée de gagner une indépendance financière me tentait tellement à coeur que j'ai pas laissé partir Samba sans lui donner mon aval. Je pense qu'il y avait aussi ce goût pour le risque et pour la découverte qui habite les jeunes filles à cet âge. Encore une fois, "on n'est pas sérieux quand on a dix-sept ans..."
Sur la liste de personnalités dressée par Samba, il n'y avait que des pseudos. J'ai pu lire "Tigre affamé", "Gentleman barbu", "Papa tireur" ou même "Jeune vieux"... Pour la première fois depuis des semaines, j'ai laissé échappé un sourire de ma bouche en parcourant ces pseudos très bizarres sur la liste du courtier. Lui connaissait le nom et le numéro de chacune d'entre ces gros bonnets au col blanc de la société, par coeur.
- "On commence quand tu veux", me dit-il satisfait.
- Donnes-moi une semaine pour me préparer. C'est nouveau pour moi
- D'accord, je te comprends. Prends ton temps chérie.

Maintenant, il fallait obligatoirement que je me débarrasse de ma grossesse. J'avais gardé avec moi le numéro du spécialiste que mon père m'avait soigneusement noté lors de notre entretien à son bureau. Mais je me suis dit que c'était pas sûr et que cela pouvait constituer un moyen pour mon père de me localiser. Alors pourquoi pas demander à mon nouvel ami courtier ?
Quand je lui ai expliqué mon problème, il a pris son téléphone et a composé un numéro. Au bout de la ligne, il a expliqué à l'autre qui devait enlever ma grossesse. Je pris rendez-vous le lendemain avec le spécialiste. Après une brève discussion, il prépara une injection qu'il m'appliqua. Après quoi, il me prescrit des médicaments pour atténuer mes douleurs au ventre.
Après avoir eu des nausées, pissé du sang et eu quelques vertiges, tout redevenait normal au troisième jour...

A Suivre...

Par Autrui